8 – Mon nouvel ami

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Normalement, les blaireaux ça hiberne. Ben, le mien hiberne rien du tout. Au contraire ! J’en ai vraiment touché un de spécial. Hyper actif. Footing à 23 heures. Insomniaque, croché dans un James Lee Burke qu’il adore ou devant une série avec des pistaches pour dire ensuite que c’était de la merde. Levé à cinq. Même les rayures de son pyjama bougent quand il dort. Surtout depuis qu’il s’est ouvert un compte sur Facebook. Soi-disant, pour comprendre comment ça marche !

Depuis, il nous pose sans arrêt des questions sur la gestion des paramètres, il explose son compteur d’amis en invitant tous ceux qui ont le même prénom que lui, il nous fait suivre des vidéos postées par des mecs allumés avec des Godzilla qui planent, des clips de Bollywood atroces ou des cartes pédagogiques de France, en gros des trucs qu’on voit jamais sur nos fils, il signe des pétitions et s’énerve tout seul en envoyant des déclarations de guerre enflammées en forme de vœux dont personne n’a rien à carrer. Après, il attend les notifications avec angoisse pour être sûr qu’il est bien les deux pieds dans le Grand Mouvement et il râle ou s’émerveille. Même que maintenant, il m’engueule quand je réponds pas au prétexte que c’est mal poli là où, il y a pas deux semaines, j’avais des morales de vingt minutes dès que je posais une question à Titouan pour un DM d’histoire via FB. Les écrans par ci, les écrans par là, et c’est pas bien, c’est chronophage et pas quand on passe à table et jamais après 21 heures… Le casse-couilles ! Il oublie que les enfants n’écoutent pas, ils regardent et font pareil. Il oublie qu’il a le smart greffé dans la main droite avec la mémoire saturée par les photos et les applis.

Et là, il faut le dire, je suis gentil. Je suis même clément. Je pratique la compassion. Je protège la dignité familiale. Je mets pas mon nom de famille, ni le lien avec les cinquante façons de péter qu’il nous a envoyé au prétexte de nous dire ensuite qu’on venait de passer cinq minutes de notre vie à regarder des prouts et que c’était ça Facebook. D’accord, je suis aussi en communication avec soixante-quinze autres potes, je fais le joli cœur et je participe à quatre groupes privés. Ok, on papote, on se disperse, on organise les anniversaires, les soirées, les après-midis de basket au terrain et j’ai toujours le site de l’Équipe ouvert pour les infos en temps réel. Oui, je suis sur les sites de sape, j’écoute du rap sur Youtube et je ne vais pas que sur le portail du collège pour vérifier les horaires de l’UNSS, mais je lis aussi des articles quand ça m’intéresse, je me balade sur Mediapart et il n’avait qu’à pas m’offrir un portable. Ce n’est pas parce qu’il se faisait chier dans sa jeunesse avec des Jules Verne et les Six compagnons ou qu’il passait des heures sur sa fenêtre à regarder l’horizon ou à chasser des rats avec une fourchette et ses grosses lunettes MGEN qu’il doit nous pourrir.

Ce qu’il ne sait pas c’est qu’au premier « T’as fait tes maths ? » reçu sur ma messagerie privé, je l’ai bloqué direct. Surtout après qu’il ait mis tous mes potes en copie pour leur demander si j’avais pas laissé ma carte de cantine chez eux.

– T’as qu’à te bouger. Ça fait une semaine que je te demande où elle est.

La honte. Là, j’ai eu comme un souvenir. Mais oui ! Ma poche de K-Way ! C’est fou, des fois comment ça marche. C’est fou aussi comment ça peut être chiant un adulte qui s’intéresse à ce qu’on fait. L’autre jour, il s’est téléchargé Snapchat et dans la foulée mon frère avait une photo de son assiette avec « On mange ! » en commentaire. C’était pas du selfie de copines avec Retrica. Là aussi, barré dans la seconde le papounet branchouille. Le pauvre. Avec des représailles en ligne de mire. Mon frère a trouvé le truc. Dès qu’il voit mon père partir en footing, il l’appelle dix minutes après. C’est le temps qu’il lui faut pour sa petite envie qui vient toujours dès qu’il se met à trottiner. Ça ne rate jamais. Il s’accroupit derrière un arbre ? Hop, il y a le téléphone qui sonne. C’est le problème des vieux sportifs, ils ont le système fragile. Un petit café, des secousses rythmées et y a le bidon qui gargouille. Panique à Fontainebleau. C’est un peu ce qui s’est passé l’autre soir quand il est parti comme une luciole faire son footing de la Saint-Sylvestre. J’étais pas le seul à l’avoir vu s’enfoncer dans la nuit dans son fuseau de danseur étoile nourri par les rillettes. Mon frère était dans sa chambre et il lui gardait un chien de sa chienne  rapport à une photo de sa tête en gros plan, écrasé sur l’oreiller avec un petit filet de bave et les cheveux gras envoyé à tous ses amis. La raison ? Mon père en avait marre de lui expliquer qu’il fallait qu’il se déconnecte quand il quittait sa chambre. Et il n’aime pas répéter.

Vu qu’il ne lâche rien non plus, il passe son temps à ça. D’ici, à ce qu’il trouve mon blog, je suis mal. Déjà qu’on s’attend à ce qu’il se balade en ville en trottinette, en débardeur blanc moulant, avec le casque de David Guetta sur les oreilles… C’est gros comme un immeuble, il va le faire. Le problème du ridicule avec lui, c’est qu’il est immunisé. Il a pas de limites. Ça fait peur. Bon, il faut que je lui réponde, il me traque sur sms. C’est vraiment une plaie !

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