10 – Remember Italia

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Mon père, quand il y a un truc qui coince, pour qu’on se détende, il dit : T’inquiète…

Un été, ma mère était partie en Chine, il bossait comme un dingue et il avait rien anticipé. La veille des grandes vacances, il a dit : Les gars, on va en Italie ! Au hasard. L’Italie… On a eu chaud ! Ça aurait pu être Le Kremlin-Bicêtre ou la Beauce. C’était tout de même mieux que la ville de Reims et le musée du tabouret. Il a jeté dans le coffre une tente, des sacs de couchage, une bonbonne de gaz, des conserves, une corde (je sais pas pourquoi), son CD de Polnareff et le réchaud ! Direction la mafia, les plages payantes et les mecs en Ray-Ban à mourir de rire, gaulés comme des bretzels avec le peigne dans le slip. C’est pas du flan, j’en ai vu. Le premier soir, à la nuit tombante, après le tunnel du Mont-Blanc, une glace dans les rues d’Aoste et trois heures bloqué sur le périph à Turin, il en a eu marre ; usines, friches urbaines, ciel de gaz, milliers d’ouvriers coincés dans des Fiat… Ça ne ressemblait pas tout à fait au film qu’il avait dans la tête avec mer bleue, dolce vita et jolis campaniles. Nous, derrière, c’était nouveau côté paysage, mais globalement ça penchait plutôt côté loose :

– Oh, regarde, m’a dit mon frère, comme elle est typique cette casse auto près du McDonald’s en ruine…

Ni une, ni deux ! Action, réaction ! Pas question pour le papounet connu dans la légende familiale par avoir fait Cachan-Villejuif en stop à huit ans muni d’un sac plastique, de se laisser ternir l’image de rebelle hyper libre. L’aventure bordel ! The life ! Transpirer la défaite ? Impossible ! D’un seul coup, il était devenu claustro dernier degré et n’a plus supporté l’italien des klaxons. S’il avait pu, il aurait roulé sur la tête des boulots boulots coincés dans leur pot de yaourt en leur écrasant la gélule. La Nissan serait passée au travers les grillages en arrachant tout, briques, miradors et faux gardiens en costard de serbe veillant sur des kilomètres d’entrepôts. Le premier truc à sa droite qui ressemblait à une ouverture dans la ligne grise des glissières en zinc et il s’y est engouffré en passant entre deux camions pleins de tubes mal attachés. Le blaireau, quasi debout sur l’accélérateur, a remonté en sauvage un petit ruisseau d’irrigation tout sec plein de sacs plastique, de déchets et d’animaux mutants planqués là en attendant que finisse le règne des hommes. C’est comme s’il avait ouvert une faille spatio-temporelle et inventé en deux secondes un nouveau décor déchiré pas les phares. Mad Max the Blairo dans les friches urbaines de la Juventus. Avec nos têtes qui cognaient le toit.

T’inquiète…

Je labourais la banquette. À un moment, on a vu entre les essuies glaces, comme suspendue dans la nuit, une énorme tête de taureau avec une chouette posée sur une corne. Les arbres griffus fouettaient les vitres. Des ombres avec des ailes percutaient le pare-brise. On a roulé sur un gros truc vivant et heureusement que c’était mou sinon le bas de caisse restait dans la rigole sur trois cents mètres avec toutes les tripes de la japonaise éparpillée dans la No man’s Land.

T’inquiète…

Harry Potter en folie. C’est là qu’on a raté le virage. À fond ! Pour moi, c’était la deuxième fois. Toujours avec lui, comme par hasard. Là première, c’était dans une courbe sur une plaque de verglas en chantant du Billy Idol à minuit. Là, c’était tout droit dans une haie avec des ronces énormes. J’ai cru qu’on allait s’écrabouiller dans un mur de ferme caché derrière. Nib ! Le dieu des blaireaux veillait. On s’est retrouvé de l’autre côté, comme passé au travers le miroir, bien garé, la voiture en tenue camouflage avec des feuilles partout. Mon père a fait genre je maîtrise, on va se dégourdir un peu les jambes, mangé des chips et on a monté la tente sous la lune avec le froid qui montait. Le moteur, lui, fumait comme une casserole d’eau chaude et il était bien le seul. La terre était ondulée. Dure. Avec des tiges de blé coupées sorties au ras du sol, un vrai cimetière de porc-épic mal enterrés idéal pour dormir. Il y avait des nuages de bzz bzz minuscules en escadrille pour nous prendre du sang avec, au milieu, des gros machins qui étaient pas des libellules. Le confort Man versus Wild. Limite les loups. L’humidité. On a mis les doigts dans une boîte de cassoulet froid pendant que notre père nous racontait des anecdotes de poilus dans les tranchées pour faire passer la pilule comme quoi ça pouvait toujours être pire et qu’on aurait tort de se plaindre. Verdun… Les poux… La gale… Les tibias avec des bouts de viande. Les gaz pour cracher du sang. Des rats gros comme des marmottes et des revenants qui sortaient la nuit, coupés en deux par un éclat d’obus, pour emporter les morts.

T’inquiète…

Les grognards de Napoléon aussi, gelés debout vivants dans l’hiver des grandes plaines russes, calanchant de douleur en se faisant amputer à vif, une pipe entre les dents. Tous les carnages de la planète, histoire de faire de beaux rêves maintenant qu’on avait survécu à son coup de speed. Mon père, s’il avait pu, il aurait continué avec des récits de paysans psychopathes ou de campeurs donnés vivants aux cochons, mais il s’est endormi en plein milieu d’une phrase en nous laissant morts de trouille, un couteau suisse et une lampe de poche en guise de talismans. Je sais pas comment il fait, mais il en connaît un rayon en saloperies sordides. Impossible de fermer l’œil. Surtout qu’un type s’est mis à tourner autour des gamelles alors qu’on allait enfin s’oublier. Mon frère se voyait déjà e écorché vif planté en plein champs pour faire l’épouvantail.

– Mammannnnnnn…

Parce que le paternel, lui, il dormait comme une bûche. Impossible de le réveiller sans bouger. Et bouger, on osait pas. Dehors, ça fouillait, ça venait mettre des coups dans la toile, on voyait des ombres au nombre de deux, puis trois, c’était horrible. Des sangliers sans doute, ou même un ours et pourquoi pas le Niglou. C’est mon père qui raconte ça. Que le Niglou vit dans la montagne au-dessous de la ville et qu’il descend quand il a faim ou qu’une odeur lui plaît. Là dessus, j’ai craqué. J’allais le secouer très fort quand il a produit un son très commun dans son sommeil, très commun mais très fort, et il y a eu comme un bruit de babines de l’autre côté de la toile de tente, une sorte de bond en arrière accompagné d’une fuite précipitée et tout est rentré dans l’ordre.

À l’aube, on était tout disloqué. Il y avait des traces partout autour du camp mais c’étaient pas des bottes. Des chevaux sont passés au galop dans la brume. La Nissan démarrait sans problème et mon père a envoyé un SMS en Chine disant qu’on allait vers la mer et qu’on passait des supers vacances. Chante Marcel ! La tête de mon frère c’était une vraie boursoufflure. T’avais une idée de ce qu’il avait pu être la veille mais on comprenait plus trop comment comme tout ça s’organisait. Il s’était fait dévorer de la base du cou à la racine des cheveux et ses yeux avaient été remplacés par des prunes fendus en deux sur le noyau qui servait d’iris. Les lèvres se touchaient gonflées comme une fraise énorme, avec une joue en pomelos et des impacts partout sur le front. Et je vous parle pas des narines. Il avait plus d’oreilles.

T’inquiète…

– Bon ben c’est pas la peine que tu manges, de toutes façons tu trouveras pas la bouche.

On a pris la route après un petit déj à l’eau de pluie et l’ambiance était plutôt à la petite étincelle qui déclenche la grosse crise. Avec ses paupières fermées, mon frère voyait même plus ce qu’il mangeait pas.

T’inquiète… qu’il a dit mon père. Les choses s’arrangent toujours…

Et il ajouté :

Même mal.

Le pire c’est qu’il a souvent raison. Avec lui, c’est surtout :

T’inquiète… Les choses s’aggravent toujours… Même pire.

Et ça c’était le premier jour. On est parti deux semaines…

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9 – Günter is coming

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Je sais, j’ai pas respecté le principe d’une livraison par semaine, mais bon, j’étais parti à Londres avec l’école et j’ai enchaîné avec mon stage de 3e, cinq jours à Paris. Du coup j’ai négocié une dispense avec mon père, comme des marchands de shit, à pinailler pour deux grammes. Pas souple le blaireau quand il tient à un truc. Si en plus il en fait une question de principe, c’est mort, il se fige en marbre et pour le faire changer d’avis, c’est comme de manœuvrer un porte-avions dans le canal de l’Ourcq.

On a passé du temps dans le 11e où il a un appart avec sa copine et j’allais tous les matins à Vincennes à l’Institut National du Sport avec les équipes de France Jeunes de basket ! Trop bien ! Mais bon, on était à peine rentré à la maison après cinq heures de route et une nuit de repos, qu’il m’a demandé ma copie. Question de principe tu parles ! Je crois plutôt qu’il y prend goût. Du coup, je lui ai fait un petit sujet sur la traversée en car ferry vers Calais, avec une description des vomis, puis j’ai enchaîné avec ma semaine chez Madame Smith et la visite des marchés aux puces. Pour le reste…

… pour le reste, je crois qu’il va bien falloir que je raconte la suite de ce qui s’est passé le soir du jour de l’an, quand il est parti en fuseau de Peter Pan faire son footing dans le bois. Le gars qui n’a pas d’amis ou alors dans les pages « Faune de France » de la Hulotte et qui était venu me chercher ma punition devant chez moi ! Á peine il avait disparu dans le noir, que mon frère descendait de sa chambre. Je sais pas pourquoi, mais ça sentait le festival. J’ai eu comme une alerte :

– C’était bien papa là, j’ai pas rêvé ? Il est parti courir c’est ça ?

Pas de doute. Le quinze tonnes en rouge fluo qui trottinait tout moulé dans le legging de Shrek, c’était bien lui.

– Dans vingt minutes, je l’appelle !

Ça, c’est le truc de mon frère. Dès que mon père part en petite foulée, il lui téléphone dans le quart d’heure. Un classique ! Mon père, au bout de deux, trois kilomètres, c’est mécanique, il doit… enfin il doit… il faut qu’il s’arrête quoi. On a suffisamment sillonné les bois avec lui pour le savoir. D’abord il parle moins. Puis il ralentit. Après, il jette des petits coups d’œil et il finit par dire : Oh ! c’est pas des champignons là-bas ? et il part en serrant les fesses se planquer derrière une souche.

Bref, on a fait son 07 et ça n’a pas raté. Je sais, je ne devrais pas raconter la suite. J’ai presque des remords. Il a beau être pénible, le papounet, je crois qu’il mérite pas ça… Le pauvre, à son âge, en tout schuss vers la cinquantaine, sec et pauvre comme un loup maigre… Il était bien comme on l’imaginait, à vingt mètres du chemin, la tirelire à l’air, libre comme Legolas et fier d’être un elfe au somment de sa gloire, en train de hum hum dans les bois. Sauf que Le Legolas, il était plutôt dans le pétrin. Et jusqu’au cou. De la fine pointe de ses pompes en peau de gazelle de felinor de rose jusqu’au bout des oreilles planquées dans la chevelure. Nous qui pensions qu’il abusait de la fraîcheur de l’hiver en écoutant les mille petits bruits de la faune sauvage en homme des bois romantique tutoyant les licornes, il se planquait en réalité, seul au monde et misérable, comme un Abaaoud mort de trouille traqué dans un fourré.

La civilisation l’avait rattrapé. Il venait tout juste de s’installer dans la position du sage indien, bien accroupi, qu’il a entendu comme un léger brouhaha. Une rumeur. Des bougies sur le chemin. Et d’un seul coup d’un seul, le décor n’était plus le même. Terminé la solitude ! Quatre cents traditionalistes modèles Ku Klux klan et vestes Barbour montaient à la chapelle à la queue leu leu en marmonnant des trucs ! Nom d’une merde ! La retraite aux flambeaux des allumés du coin ! Tous les crevards anti-tout de la région avec trois curés dans le peloton de tête, drapés dans les chasubles à bandes mauve, se tenant les mains, bien concentrés pour ne pas se marcher sur le bas du rideau et finir dans le fossé. Les bigotes en chaises roulantes venaient derrière comme à la parade en tenant des petits crucifix, poussées par les jeunes du club d’escrime alignés comme des jeeps. Derrière, c’étaient la relève, avec les fillettes récurées pour le mariage. Il y avait même le curé Mougin sur son quad à piles qui faisait des allers retours écologiquement responsable le long de la colonne en veillant sur le troupeau comme un bon gros maton. Mougin, c’est le catho branché du coin. Il a des grosses cuisses longues, il fait du skating avec élégance et chante dans la nature. Il est bio et va dans les bars. Il dit dans le journal que les musulmans sont ses amis. Les vieilles l’adorent. Les jeunes aussi. Il est tellement moderne qu’il les fait monter au ciel en pratiquant l’allégorie du cierge. J’ai pas tout compris, mais c’est mon père qui dit ça. Un jour, je comprendrai, mais je sais pas pourquoi, je suis pas pressé et il y a pas le feu au lac.

– Ouais, c’est qu’ils t’ont fait, c’est vraiment Legolas.

Les salauds, pas moyen de commencer la nouvelle année peinard. Mon père a reculé tout doucement, pour s’esquiver, un vrai renard, habile, une ombre, un indien, un véritable esprit échappant au lynchage des Mormons, il avait disparu, il était sauvé, il…

Son portable. Mon frère. Le timing parfait.

Et sa sonnerie, c’est pas la Flute enchantée. Terminé le repli du Cheyenne. On lui a mis le cri de Tarzan sur son smart ! Oioioiiooooo ! De liane en liane. Bien fort. Impossible de confondre avec la chute d’une feuille. Le curé Mougin a braqué le quad et il l’a pris en pleins phares ! Y’a une fille qui a hurlé :

– MAMAANNNN !!! LÀÀÀÀ Un rouge-gorge ! Il est ÉÉÉnnnOOOrmme !!

Tu m’étonnes ! Et toi, tu es quoi ? Une chenille ? Reprends ton abonnement pour Okapi et révise tes insectes. C’est juste mon père qui fait sa gym à minuit… Flexion, extension ! Mais oui, bien sûr, soir Msieurs Dames… Tous mes vœux… Merci mon père ! Fait pas chaud n’est-ce pas ! Oui, surtout les sacoches… Enfin, la santé d’abord hein ! À mes proches, je vais leur dire, comptez sur moi ! C’est ça… Vous êtes combien là ? Oh fils de pute ! Y’a tout le Vatican. Fallait que je tombe sur les pénitents de Saint Jacques ! C’est bon, là, je peux finir ma petite prière ? Et ton bâton là, le pèlerin de mes deux, tu le ranges où c’est pour touiller dans mes oracles ?

Le blaireau s’est trissé comme un gros sanglier des Ardennes en rasant tout sur son passage. Il s’est cassé la gueule une demie douzaine de fois, comme s’il était poursuivi par des morts vivants, avec son petit paquet tout chaud remballé dans l’urgence. Un héros ! Ce qu’il a réussi, jamais aucune bête ne l’aurait fait et il mériterait sa tête sur les timbres. Il serait la nouvelle idole des mamans divorcées qui font la queue au bureau de poste. De temps en temps, elles pourraient le lyncher en meute comme une poupée qu’on aime bien jeter par terre. En tous les cas, le lendemain, il retrouvait plus son portable. C’est comme ça qu’on a su. Il nous est tombé dessus à l’aube, la gueule comme bouffée par un tigre.

– Les gars, il faut me prêter l’un de vos smarts, il a fait une fois qu’il est parvenu à nous faire lever la paupière, je trouve plus le mien, faut que je le fasse sonner.

Le faire sonner ? Perdu ? Perdu quoi ? Oh, misère ! Hier ! Le footing dans les bois. C’est vrai qu’il n’avait pas décroché ! On s’était un peu demandé pourquoi, mais après tout, c’était le jour de l’an et on avait des soirées.

– Qu’est-ce qui se passe ? T’es passé dans une vitre ?

– Après. Je vous raconterai après. Mais là, on décolle.

Mon père, il est sympa mais nous, pas question de lâcher nos machines ! Pas fous ! Et on voulait comprendre. Faut dire qu’il avait une drôle de dégaine avec sa joue droite griffée, son sourcil mort et sa trogne de gueux.

– Ce que je vais vous raconter les gars, vous le gardez pour vous…

Impossible de l’arrêter. C’est comme s’il revivait un cauchemar sous hypnose. Mon frère, baissait les yeux. Il pleurait. C’était nerveux.

– Et tu rigoles ! Putain ! Si je tenais le con qui m’a appelé !!

Du coup, on l’a pas lâché d’un pouce. Le premier qui trouvait la machine effaçait l’historique. Pas besoin de se le dire, message reçu. Le jour à peine levé, on était dans les bois, alignés comme à la battue à composer son 07 tous les cinq mètres. Qu’est-ce qu’il l’aime son smart ! À nous tripler l’argent de poche si on retrouvait Sancho. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça qu’il appelle son Samsung. Moi, j’ai négocié dans la seconde une remise de dette. Deux mois d’ardoise en moins ! Trop content ! Au bout d’un vingt minutes à se les geler dans la brume on avait kebab illimité chez Tekin, avec une sape Ünkut et un concert à Paris. C’était pas cher payé pour qu’on se taise. Faut savoir négocier et y’en avait marre ! Il arrivait même pas à retrouver l’endroit.

– Tu es sûr que t’as pas dormi dans un buisson du parc des Sports ?

Le papounet n’a pas eu le temps de répondre qu’on a eu la trouille de notre vie. Devant nous à vingt mètres, il y avait un marcheur blanc de Game of Thrones sur son cheval. Puis deux. Immobiles. Très droits. Leurs yeux sur nous. Un vent glacé dans les branches. Des glaçons dans nos coeurs. Mon frère, il a glissé comme une saucisse vide et y avait plus que la peau par terre. Je me suis chié dessus tandis que les poils du blaireau étaient partis à l’iroquoise, raides debout sur sa tête, et qu’il était en train de se demander ce que c’était que ce bois pourri et si ça allait se finir un jour ce gros merdier ! Il a ramassé une branche. Il s’est avancé. Mon père !! Face aux marcheurs blancs, comme ça, dans une forêt de sapins, eyes in eyes, sans se poser de question ! Son bras devant moi comme si j’allais bouger. Avec sa brindille. Pour nous protéger. Jon Snow. Je m’en souviendrai toute ma vie. Ça a beau être blaireau, c’est un blaireau qui les a bien accrochées. Là, j’ai compris qu’il se ferait découper debout plutôt que de nous laisser quoiqu’il y ait en face, tifosis, trolls des montagnes, ménagères en folie ou Wesens de Grimm. C’est beau l’amour ! Il s’est mis en ninja.

– Paooopppaaaa !!!!

Le plus maigre des marcheurs blancs s’est avancé. Il portait une sorte de vareuse cachée par une cape vert bouteille avec une casquette et des bottes noires. Mon père a fait de même. Il portait une sorte de veste en poil de laine trempée comme une éponge avec ses cheveux craspouilles et des baskets Emmaüs. Les deux se sont regardés. Puis le marcheur s’est tourné vers son collègue :

– Dis Günter… C’est pas le gars du sapin qu’on a verbalisé l’autre soir ?

– Mais, tu as raison Philippe ! Quelle surprise… Bonjour Monsieur. Qu’est ce que vous faites là ? Vous planquez les œufs de Pâques ?

L’O.N.F. ! Je peux vous garantir que mon père, il ne pouvait pas le savoir. S’il leur était tombé dessus en pensant cogner dans du fantôme horrible, on était bon pour enterrer du fonctionnaire en petits bouts. Les gardes ne savaient pas trop quoi faire, mais à mon avis, ils n’imaginaient même pas une seconde à quoi ils avaient échappé. On le dit pourtant, quand il y a des petits quelque part, il faut toujours faire attention aux parents. Ils devraient le savoir dans la forêt, eux qui passent leur temps à surveiller la reproduction des musaraignes et la migration des campagnols. Mon père, avec sa trogne de moujik fouetté par son maître, il n’était pas rassurant et c’est lui qui a parlé :

– Je cherche mon chien… ll s’est barré avec le carnet de chèques.

– C’est ça… Et vous vous êtes rasé avec une disqueuse. C’est quoi votre nom déjà ?

On a donné celui du nain géant dont. Par principe. Mon père allait rajouter quelque chose, mais on a jamais su ce que c’était. Ma faute. J’ai voulu ranger mon portable, mais j’avais tellement froid aux doigts que j’ai rappuyé sur le 07. On a entendu le cri de Tarzan super fort juste sous le cheval du garde et le bourrin a fait des claquettes comme s’il avait mis les sabots dans la prise. Même qu’il a henni plus fort que Johnny Weissmuller et que Günter a volé dans le décor. C’était pas la douane volante, mais il a disparu de son cheval aussi sûrement que s’il n’avait jamais été là. Sancho le Smart était par terre, à côté d’un tas de feuille pas très propre, bien caché sous de l’engrais naturel. Je me suis penché très vite et j’ai ramassé la machine. Les feuilles de papier à côté, avec des traces, c’était du A4. Une couleur que je connais bien. Même que le titre c’était celui de ma punition qu’il était venu chercher la veille avant de partir en petite foulée, très digne, comme s’il allait traverser la France entière. Le salaud ! Il s’était hum hum avec mon texte. Ma prose. Ma punition ! Mon œuvre…

Mon frère m’a vu en état de choc et m’a arraché le téléphone. Il est parti en courant effacer la mémoire. Mon père a fait demi-tour et on s’est barré de ce bois trop chelou. J’ai suivi avant qu’on ne tombe sur E.T. et son doigt tout maigre ou que l’on croise Gargamel, madame Potiron toute nue ou je ne sais qui en train de repeindre les arbres en mauve. Moi, ce que je garde, c’est… c’est que mon père s’est hum hum avec enfin quoi… des heures d’effort ! Le salaud ! C’est dur d’être écrivain !